dimanche 9 janvier 2011

Biographie

Daniel Tremblay est un plasticien français, né le 7 mars 1950 à Sainte-Christine dans le Maine-et-Loire, non loin d'Angers

Il commence par étudier à l’école des beaux-arts d’Angers de 1966 à 1974 où il passe son diplôme. De 1975 à 1978, il séjourne à Londres et étudie au Royal College of Art de Londres dans le département sculpture où il adopte la mouvance de la nouvelle sculpture anglaise ; celle qui pratique l’humour et la recherche de nouvelles matières avec vitalité. A son retour en France, il enseigne la sculpture à l’école des beaux-arts de Mulhouse jusqu’en 1981 puis est professeur de dessin à 
l’école d’architecture (UPR) de Paris. Sa première exposition personnelle se déroule en 1982 à Toulon.

Il pratiquait les détournements de matières simples comme le plastique, le caoutchouc, le polystyrène, la moquette et l’ardoise mais aussi des objets du quotidien : des paillassons, du gazon synthétique… Il construisait des œuvres qui s’appuyaient sur l’espace, formant une poésie à partir de matériaux dérisoires. En 1984 il expose en Californie au musée de La Jolla de San Diego une œuvre gigantesque intitulée The Last Wave : dans une grande pièce blanche percée de plusieurs baies vitrées donnant sur le Pacifique, il recouvrit les murs autour des fenêtres de cartes postales représentant des surfeurs sur l’eau, qui, telle une immense vague, vont s’échouer jusque sur une tête de dormeur.

Ses œuvres sont présentes dans les collections du Centre Pompidou, du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, du musée Guggenheim de New York, des musées de San Diego, Cologne, Stockholm... L’année dernière de janvier à mai, on a pu s’enticher de 36 de ses œuvres lors de l’exposition que consacrait le musée des Beaux-arts d’Angers à Daniel Tremblay.

Il est mort le 8 avril 1985 au volant de sa voiture, aux environs d'Angers. 
Jack Lang a dit de lui : « Célébré à Paris, estimé et respecté à l'étranger, Daniel Tremblay gardait toujours intact son sens aigu de la poésie et de la dérision. Celui qui aimait les étoiles est parti trop tôt les rejoindre. »



La silhouette

Dans bon nombre de ses œuvres, Daniel Tremblay fait apparaître ce que l’on pourrait qualifier de « bonhommes » : des silhouettes de visages ou de corps crées de lignes courbes, n’ayant aucune particularité, asexuées et comme anonymes. Tout le monde peut se reconnaître à travers ces personnages linéaires, et l’on ne sait qui Daniel Tremblay a voulu y représenter. Lui, nous, ou bien des individus bien particuliers qui l’ont inspiré ? On pourrait également se demander, comme le personnage conserve toujours le même visage et la même silhouette, si ce n’est pas une volonté de l’artiste de le maintenir en vie, de le faire vivre comme un héros tout au long de ses tableaux ou chacun de ces derniers serait un épisode, une aventure… 

Sans titre, 1983.
Les visages ne sont reconnaissables que par ce trait continu qui dessine le front, puis le creux des yeux, le nez, les lèvres et enfin le menton : la seule particularité de ces visages sont qu’ils sont en permanence dessinés de profil. Mais c’est ce profil qui permet la simplicité et la continuité de ce trait qu’une esquisse de face ne permettrait pas. Les personnages par ce tracé à la ligne sans plein ni délié, semble en apesanteur dans les tableaux, comme suspendu dans les airs et l’espace de l’œuvre. Ils naissent comme des êtres sans profondeur. Les lignes s’arrêtent, inachevées, au milieu et donnent alors l’illusion que les visages flottent dans l’espace, ou bien sont simplement stoppées par les bords du tableau. Dans les deux cas, l’utilisation de la ligne pour les formes que Daniel Tremblay représentent, leur donne un caractère fantomatique, une absence, des ombres et c’est cela qui rend les tableaux si mystérieux. Cependant, la ligne forme le paradoxe car en étant simple et le dessin peu complexe, elle allège la signification de ses formes et rend le tableau plus abordable et attirant.   

« J'ai travaillé avec des profils parce que le profil c'était le moyen le plus simple de signifier un homme, c'est-à-dire avec un minimum de signes, on arrive à raconter un personnage, alors que si on le fait de face, on est obligé d'écrire davantage. Toutes ces séries de profils devenaient une espèce de calligraphie, une sorte d'écriture où il y avait une conversation entre tous ces profils. »
Daniel Tremblay

Le monde de la nuit

Rose lune, 1985


L’univers de Daniel Tremblay est marqué par un champ iconographique de la nuit : des couleurs sombres, des dominantes de bleus, des représentations d’étoiles, de lunes et d’astres. Cet univers de la nuit est mystérieux et laisse place à la rêverie. Les lunes et autres formes nocturnes, lorsqu’elles sont dessinées ou peintes, sont représentées de la même manière linéaire et simple afin de laisser à notre imagination, le reste du travail. Ses dessins me font penser à ceux d’un enfant ; les réalisations d’enfants étant remplies d’imaginaires sans limites, et plein d’innocences, Daniel Tremblay a peut être voulu nous redonner le goût des choses simples qui nous laisse plus de libertés dans la perception et nous emmène plus loin dans notre imagination. C’est comme un jeu où chaque spectateur aura le plaisir de voir sa pensée être envahie par ces tableaux dont nous avons chacun une perception unique. C’est en cela que réside toute la poésie de Daniel Tremblay. On peut considérer qu’il fait une partie du travail et nous amène à développer le reste à notre goût et avec notre propre vision des choses. 

« Certaines œuvres demanderaient à ce qu’une conversation s’engagent face à elles, celles de Daniel Tremblay n’ont nul besoin de cet artifice, elles nous sont directement accessibles, elles nous parlent. »
François Grundbacher, 1994.

On  pourrait croire que ces tableaux ne sont pas sérieux, ne sont qu’enfantins avec leurs « bonhommes » filaires, ces lunes, ces étoiles, ces oiseaux… Mais à travers tous ces tableaux, on peut découvrir en s’y attardant un peu que Daniel Tremblay a voulu nous parler d’autre chose. Pas de choses plus compliquées en elles même qu’un corbeau ou qu’un râteau mais des choses plus profondes et plus ou moins implicites : l’amour et la mort. Tout en étant des thèmes tragiques, Daniel Tremblay les traite avec tellement de poésie qu’ils en deviennent légers. Lorsque Daniel Tremblay nous parle de la mort, les personnages semblent flotter dans l’espace du tableau et celui-ci tout entier nous emmène dans une nuit étoilée et éternelle. Et même si notre raisonnement trop rationnel ne l’a pas vu, sans doute que notre inconscient aura fait le travail et nous laissera empreint de ce drôle d’univers empli de rêveries. Daniel Tremblay cherchait avant tout que « ses travaux soient capable d’émouvoir ».

«La dérision pour moi, dit-il, c'est un moyen de parler des choses qui ont l'air un peu sérieuses ou un peu graves avec un peu de légèreté et je trouve que mélanger, disons le côté léger du rêve et le côté un peu lourd de la mort sont des associations qui font que les choses peuvent peut-être passer plus facilement».
Daniel Tremblay


Le détournement d’objet

Sans titre, 1980.




Brosses, disques, perles, faucille, paillasson, ardoise, caoutchouc, chaussures, bocal, métal, carton, disques, râteaux et j’en passe. Le travail de Daniel Tremblay se base sur le détournement d’objets et de matières ; des objets de notre quotidien, de travail ou de loisir, tous des objets manufacturés neufs, car Daniel Tremblay ne joue pas dans la récupération. L’humour est encré dans ce travail grâce à ces objets qui, en n’étant, pour la plupart, pas modifiés mais simplement sortis de leur contexte, nous font sourire et rêver à la fois. La faucille devient lune, le paillasson devient ciel ou visage, les perles forment des étoiles, les silhouettes « pissent » ces étoiles… L’objet banal n’ayant pour habitude qu’un usage ennuyeux, renaît sous une autre identité, revit.


« Il manipule un objet banal pour lui faire vivre une grande aventure, celle de la résurection, par une dualité dans l’utilisation des matériaux. […] Jeu entre l’éphémère et l’éternel. La faucille devient lune, la lune Vénus, l’éternel féminin. »

Daniel Tremblay joue avec l’apparence. L’apparence des objets qu’il utilise pour ses créations et qui est mise en doute par l’utilisation de ces objets. Comme le poète Francis Ponge, il s’intéresse à des objets simples et nous emmène les découvrir à travers un point de vue unique et décalé. L’artiste fait travailler notre inconscient car en utilisant ces objets et ces formes simples et linéaires, il amène notre pensée à créer son propre point de vue. Nous développons alors cet aspect et ce rapport différent que l’on a avec l’objet en question. De plus, l’artiste intègre dans certaines de ses œuvres des jeux d’optique qui demandent à l’œil du spectateur une certaine gymnastique.
C’est pour la même raison que beaucoup d’œuvres n’ont pas de titres afin de laisser libre cours à l’imagination du spectateur et ne pas fermer de portes créatives dans son esprit. Quelques œuvres sont nommées mais ce titre reste vague et imprécis pour ne pas gâcher le travail conscient et inconscient du spectateur comme « jaune et noir », ou bien « the last wave ». Daniel Tremblay, lorsqu’il décide d’apposer ces titres à ses œuvres nous offre alors une piste d’imaginaire pour nous guider vers une pensée, celle qu’il voulait qu’on emprunte.
En détournant les objets du quotidien dans des œuvres, et surtout en détournant leurs fonctions initiales et en leur en attribuant une autre, plus poétique, Daniel Tremblay donne une âme à ces objets, les magnifie, et les fixe ainsi dans l’éternité.

«J'aime pas les choses définitives mais il y a quand même quelque chose de l'éternité qui me plaît beaucoup. Je ne sais pas pourquoi mais…»
Daniel Tremblay 


Ces objets, d’autant plus, ne sont pas choisis non plus par hasard. Par exemple, le râteau de La Sieste éternelle : Il me fait penser au râteau que l’on retrouve dans les jardins japonais miniatures qui ont pour but d’apaiser les gens par le mouvement répétitif et doux du râteau sur le sable fin. La poésie de Daniel Tremblay n’est jamais brutale. Dans l’œuvre de Tremblay, le râteau ratisse les étoiles autour du dormeur. On en retire une sensation de calme, de sérénité. L’artiste s’est peut être inspiré de la philosophie orientale zen. De même pour le croissant de lune, il a une symbolique forte de sérénité, de calme mais aussi de curiosité. Le corbeau depuis toujours est entouré d’une aura mystérieuse. « L’idée de paillassons que l’on piétine tous les jours et dont j’aimais la texture et l’épaisseur m’est venue bizarrement. Je trouvais que les punks ressemblaient un peu à des paillassons […] Les moquettes et les brosses sont venues simplement à la suite de ça. » (Daniel Tremblay)
C’est pour cela que chaque objet est choisi minutieusement car il a une histoire, une culture.


La sieste éternelle
1983, gazon synthétique, râteau, 200x300 cm.
Le fait d’intégrer des objets à ses tableaux amplifie le sentiment de vie de ceux-ci. Les tableaux deviennent des « tableaux bas-reliefs ». En effet, Daniel Tremblay ne se considère pas comme sculpteur à part entière mais comme « sculpteur de bas reliefs ». Il a choisit de ne pas rentrer dans la sculpture car son travail est la plupart du temps accroché au mur et qu’on y rentre par le visuel. Dans ses œuvres, « l’espace est purement visuel » dit-il.
L’utilisation des matériaux quant à eux, se fait par plaques brut. Il les assemble, les découpe, les fixe, les colle. Chaque matériau a ses propres caractéristiques et Daniel Tremblay s’amuse avec cela. Les poils, les tiges, les surfaces ont tous un caractère et une texture qui leur sont propres et qui ajoutent du sens aux œuvres de l’artiste. Ces matériaux et leurs combinaisons forment l’espace de la représentation et n’ont plus besoin de support. Ils deviennent supports eux-mêmes.


Sans titre (deux profils et deux corbeaux), 1982






« Une installation c’est un jeu où l’espace intervient comme un matériau avec des potentialités propres que j’essaie de trouver »
Daniel Tremblay

Etude de l'oeuvre The last Wave, 1984

The Last Wave, 1984.




En 1984, Daniel Tremblay expose au musée d’art contemporain de La Jolla de San Diego en Californie une œuvre gigantesque intitulée The Last Wave qui signifie La Dernière Vague lors de l’exposition « French Spirit today ».  Dans un des coins d’une grande pièce blanche percée de plusieurs baies vitrées donnant sur le Pacifique, il recouvrit les murs, le sol et le plafond, autour des fenêtres, de cartes postales représentant des surfeurs californiens sur l’eau. Elle mesurait 11m de long, 6,50 m de profondeur et 3m de hauteur. Devant cette encoignure, se trouvait un socle sur lequel était posée une tête endormie en polystyrène de 70cm de haut, également recouverte de cartes postales, mais cette fois ci représentant les côtes françaises, collées et vernies. Le haut du crâne quant à lui est dissimulé sous des cartes de poissons exotiques. Réalisée en ronde bosse, la tête reposait sur son côté gauche. Les traits du visage sont marqués par l’utilisation de cartes plus ou moins foncées afin de nuancer les zones d’ombres et de lumières. Les cartes n’étaient pas apposées brutes sur la matière mais découpées préalablement pour donner l’effet d’une vague aux contours arrondis ou pointus.
L’œuvre, en étant en surface, uniquement composée que de cartes postales de paysages côtiers possède une unité de couleur intéressante s’étirant dans un camaïeu de bleus et nous rappelant l’art de la mosaïque.

La première impression ressentie en découvrant l’œuvre est que les cartes postales collées aux murs, formant une immense vague, sont prêtes à engloutir la tête du dormeur qui nous fait face. Les formes données à la mise en scène toute entière évoquent le mouvement de cette vague immense qui aurait traversée les baies pour venir y échouer ou engloutir la tête du dormeur.
L’installation autours des baies vitrées nous laissant admirer le Pacifique a été choisie avec soin. En effet, la « flaque » formée par les cartes postales bleues semble émerger dans la pièce du sol au plafond. C’était comme si le Pacifique profitait de l’opportunité de ces baies vitrées pour envahir le musée. Les cartes postales seraient la représentation du ruissellement de l’eau sur les murs mais aussi du passage de l’eau après le retrait de la vague. "Quand je l'ai vu l'espace, j'ai su que je voulais faire entrer l'océan dans la pièce" racontais Daniel Tremblay lors de sa première visite au musée de la Jolla. L’utilisation du vernis sur les cartes postales nous rappelle le reflet du soleil sur l’eau. A première vue, la tête du dormeur, énorme par rapport aux surfeurs des cartes, me fait penser à l’histoire de Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver de 1721 : Les petits surfeurs seraient les lilliputiens et le dormeur, Gulliver se faisant attaqué durant son sommeil. Chacun, devant l’œuvre de Daniel Tremblay, peut imaginer son interprétation et créer son récit d’aventure. Dans tout son travail, l’artiste nous laisse le plaisir et la liberté d’interpréter ses œuvres, de nous les approprier et nous emmène sur des chemins pour que notre imagination continue et développe cet univers poétique qu’il a commencé de construire.


On reconnaît ici la signature de Daniel Tremblay dans l’utilisation d’objets communs qui sont ici les cartes postales. En découvrant la Californie, il a été fasciné et charmé par ses paysages, ses vagues tumultueuses et ses surfeurs et trouvait que la Californie était le paysage typique de carte postale. En les accumulant et les détournant de leur utilisation habituelle, il leur fait vivre une aventure, les sort de leur banalité et les magnifie dans l’expression de cette vague gigantesque. Son humour léger et envoutant est également présent : imaginez-vous devant cette vague de quelques mètres de haut, elle vous impressionne. Maintenant, imaginez ces centaines de petits surfeurs domptant cette vague colossale, elle vous fera sourire. La carte postale, objet utilisé pour donner des nouvelles de vacances habituellement, ici, nous fait rêver en mêlant intérieur et extérieur, fiction et réalité. Elle nous transporte au creux de cette vague et de l’univers de Daniel Tremblay afin de nous en dévoiler toute la poésie.

Malgré son succès, la durée de vie de « la dernière vague » n’a été que de quelques semaines. Œuvre éphémère, elle a été détruite et la tête est entrée dans la collection du musée des beaux arts d’Angers grâce à un don de la compagne de Daniel Tremblay en 2005.  

samedi 8 janvier 2011

Conclusion


Sans titre (Poissons rouges),1983.
Daniel Tremblay, ou l’amoureux des étoiles, est un rêveur sérieux, un poète humoriste, un artiste complet. Ses œuvres ont pour qualité d’être accessible à tous, de nous faire sourire mais aussi réfléchir. Elles nous captent et nous emmènent dans son univers drôle et poétique. Les corbeaux chantent le blues, des râteaux nous apaisent, des disques nous hypnotisent, et les matériaux utilisés nous étonnent. Daniel Tremblay est un artiste qui nous fait 
aimer l’art et j’attends avec impatience la prochaine exposition de son travail afin de découvrir en réalité l’imaginaire de cet homme original et surprenant ; et j'espère que vous aussi, grâce à ce blog, je vous aurai donné   l'envie et le plaisir d'apprécier l'oeuvre de cet artiste

vendredi 7 janvier 2011

Bibliographie

Daniel Tremblay, 1987, Musée des Beaux Arts d’Angers.
Daniel Tremblay, de profil, 1990, Catherine Strasser.
Daniel Tremblay : catalogue publié à l’occasion de l’exposition consacrée à Daniel Tremblay présentée au Musée des Beaux Arts d’Angers du 8 Novembre au 3 Mai 2009, Patrick Le Nouëne.



Exposition de Daniel Tremblay à Angers - Angers 7

Exposition Daniel Tremblay au musée des beaux-arts d'Angers - Musée des Beaux Arts d'Angers